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Date : 08/09/2015 - Retour aux actus

La nounou ne voulait ni travailler ni démissionner. Nous décidâmes donc de procéder à une rupture conventionnelle. Ce fut un effroyable choc de complexité. Avant de décider, les décideurs devraient en passer par là.

de Jean-Marc Vittori

 

Cet été, j’ai licencié. Et ce fut un choc.

Précisons tout de suite. Ce n’était pas vraiment un licenciement, puisqu’il s’agissait d’une rupture conventionnelle, ce nouveau mode de séparation entre salarié et employeur instauré en 2008. Ce n’est pas vraiment moi qui ai licencié, puisque ma tendre et chère a assumé l’essentiel du travail. Et le choc ne fut ni social ni émotionnel. La jeune femme qui allait chercher nos deux petits garçons depuis l’automne dernier a accouché en mai, après nous avoir indiqué qu’elle reprendrait fin août. Début juillet, elle nous a appelés pour nous dire que ça ne serait pas possible. Logiquement, elle aurait dû démissionner. Mais il est dur de vivre sans salaire ni indemnités chômage. Démission impossible, licenciement hors sujet : va pour la rupture conventionnelle et le prix à payer – 231,87 euros d’indemnité de rupture. N’exagérons point : le choc ne fut pas plus financier.

Sauf que… le prix à payer ne se mesure pas ainsi. La rupture conventionnelle ne se fait pas d’un claquement de doigts (c’est d’ailleurs compréhensible et même heureux). Une promenade sur Internet débouche sur une évidence : s’il est possible de rompre sans avocat ou DRH, il est impossible de rompre tout seul. Car le vrai choc est un choc de complexité. A en croire le président de la République, c’est tout le Code du travail qui est illisible. Je dois avouer que je n’ai pas eu le courage d’aller jusqu’au bout des 3.809 pages de l’édition 2015. Mais clairement, pour la rupture, il nous fallait un guide. Par bonheur, le site Parent-employeur-zen.com, que ma moitié fréquente depuis notre premier recrutement, propose un « pack sérénité ». A un prix qui peut paraître élevé : 119 euros. Mais pour une montagne de courriers types, une série de calculateurs (dates de procédure, solde de tout compte, congés…) et une assistance diligente par courriel, on aurait presque l’impression de faire les soldes.

Il faut commencer par déterminer le calendrier, dans le but logique d’en finir au plus tôt. Pas si vite, papillon ! Premier entretien. Laisser passer quelques jours. Deuxième entretien. Laisser passer quelques jours (il faut pouvoir prouver le « consentement éclairé » de la salariée, nous a prévenus Parent-employeur-zen). Signature de la convention qui donne son nom au dispositif. Quinze jours de délai pour être bien sûr de la décision. Tiens, on part en vacances ! Bien songer à mettre les papiers dans le bagage de cabine, au cas où la valise serait perdue (elle arrivera seulement avec un jour de retard). Envoi en recommandé du formulaire d’homologation à la Direccte – la Direction départementale du travail – pour lequel il faut faire, vacances obligent, une petite heure de route de montagne en Corse. A nouveau quinze jours de délai. Puis enfin la conclusion : rupture du contrat avec remise à la nounou du solde de tout compte, du certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi. Deux mois se sont écoulés. Il aura fallu envoyer trois lettres de convocation, rédiger la convention de rupture, remplir le document Direccte, calculer le solde de tout compte, préparer le certificat de travail, renseigner le document Pôle emploi, faire signer le reçu de solde de tout compte. Neuf documents au total, si je n’ai rien oublié. C’est bien d’avoir une imprimante à la maison.

Il faut ensuite remplir les formulaires. La Direccte demande salaire brut et salaire net pour chaque mois depuis un an. Allons chercher les feuilles de paie une par une sur Pajemploi ! L’esprit curieux s’étonne : tiens, il y a tout de même plus de 30 % de cotisations sociales au voisinage du SMIC… Tiens, il a fallu sortir 2,93 euros de plus en mars qu’en décembre pour que la nounou touche pareil, ce qui signifie que les charges ont augmenté… Mais pas question de traîner en route. Passons au calcul de l’ancienneté d’où sont décomptés les congés sans solde et arrêt maladie. 25 jours au total, ce qui provoque une incohérence dans le formulaire. Tant pis. Vient ensuite le document Pôle emploi, qui demande en outre le nombre d’heures travaillées. Retour à chacune des douze fiches de paie. Attention, les congés pathologiques rentrent dans les congés maternité et non les arrêts maladie. Attention, les jours ouvrables ne se comptent pas toujours de la même manière. Attention…

Au total, une vingtaine d’heures perdues à rajouter aux 350 euros. Un souvenir m’est revenu en mémoire. C’était un samedi matin, sur France Inter. J’expliquais que la difficulté à licencier pesait sur l’emploi en France. Christian, un estimé confrère du mensuel « Alternatives économiques », répondit que c’était totalement faux, qu’il y avait près d’un million de licenciements par an, etc. Et la charmante animatrice du débat buvait ses paroles, ce qui était agaçant. Une fois les micros fermés, j’ai demandé à mon contradicteur s’il croyait vraiment ce qu’il disait. Il me semble qu’il était alors moins affirmatif. Et surtout, l’animatrice dit : « Je suis plutôt d’accord avec Christian mais c’est vrai que j’ai eu un problème avec une nounou, j’ai eu un mal fou à m’en séparer et je me suis organisée autrement ensuite. »

Voici une idée simple pour sortir du gouffre de la complexité : exigeons des parlementaires et des acteurs du dialogue social (patrons de centrales syndicales et patronales, de Pôle emploi, des Urssaf, etc.) qu’ils remplissent tout seuls comme des grands la paperasse requise pour embaucher un salarié, régler son salaire et ses cotisations, puis le licencier au bout d’un an. Bien sûr, ils ont autre chose à faire – mais nous aussi. Se forgera alors un consensus pour la simplification comme la France n’en a jamais connu.

Jean-Marc Vittori

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